Débats
Quel capitaine pour le Canadien ?
La Presse
Tu sais ce qui m’inquiète, Dany ? Que le Canadien choisisse la voie facile et décide de ne pas nommer de capitaine, prétextant que les jeunes leaders ne sont pas prêts à assumer ce rôle.
Le résultat, c’est que Michel Therrien renforcerait encore son emprise sur l’équipe. Or, les joueurs ont besoin d’un représentant pour faire valoir leur point de vue, pour officialiser un canal de communication avec l’entraîneur. C’est encore plus vrai avec la jeune génération, qui croit au dialogue. Pas de capitaine, au fond, c’est Therrien qui choisit Therrien…
Pas d’accord, Philippe ! Surtout en raison de la période de transition que le Canadien amorce. C’est une équipe en mouvance, dans laquelle les jeunes prennent plus de place.
Choisir un capitaine est une décision à long terme. Elle doit être bien réfléchie. Il ne faut surtout pas se tromper. Car il n’y a rien de plus dramatique que de retirer le « C » à un joueur.
Il faudra tout de même que le Canadien assume ses orientations. Cet été, après le départ de Josh Gorges et Brian Gionta, Marc Bergevin a expliqué que les jeunes devaient maintenant occuper une place prépondérante dans l’équipe.
La suite logique des choses, c’est de choisir l’un d’eux comme capitaine. Ce serait une marque de confiance et de respect envers les nouveaux piliers de l’équipe. Et nommer un jeune ne serait tout de même pas une décision révolutionnaire dans la LNH ! Plusieurs équipes l’ont fait.
Pour agir ainsi, il faut un incontournable, un gars qui fait l’unanimité dans le vestiaire. Et pour mille et une raisons, c’est là que le bât blesse chez le Canadien. Sans dire qu’il y a un problème d’esprit d’équipe, on n’a pas trouvé le bon candidat, la bonne pointure.
C’est drôle, j’ai l’impression qu’on attend peut-être l’émergence d’un jeune joueur, un Brendan Gallagher par exemple. Inspirant et courageux, il ne fait pas de compromis sur la glace. C’est un gars sérieux, à l’image de Tomas Plekanec, mais avec plus de fougue.
Veut-on voir un jeune comme lui s’imposer plutôt que de donner le titre à Plekanec, un gars dont on ignore s’il sera de la photo de famille lorsque le Canadien gagnera un jour la Coupe Stanley ? Au fond, l’équation, c’est de savoir qui conduira le Canadien à la terre promise…
Si le Canadien passe la saison sans capitaine, on aura tous compris que la direction attend que Gallagher gagne en expérience. Il a manifestement de très belles qualités. Mais on enverrait ainsi un drôle de message à deux jeunes vedettes mieux établies, Max Pacioretty et P.K. Subban.
Comme si on leur disait : «Hé, les gars, on n’est pas sûrs de vous comme leaders… On vous a accordé des millions de dollars et des contrats à long terme, mais on hésite un peu à vous consacrer…» Pacioretty a pourtant été le meilleur joueur du Canadien en saison, et Subban l’a imité en séries, là où les grands joueurs bâtissent leur légende.
Tes meilleurs joueurs ne sont pas toujours tes meilleurs leaders ! Quand tu as une jeunesse émergente au sein de ton organisation, le fait de leur donner des rôles d’assistants leur permet de se familiariser avec la responsabilité.
Comme direction, tu peux aussi voir lequel est à l’aise avec le rôle. C’est un poste prestigieux, en quelque sorte le prolongement du discours de l’organisation.
Un capitaine doit être rassembleur, il doit développer une complicité avec l’entraîneur. Il travaille avec un noyau dur de joueurs dans le vestiaire. On ne peut pas le choisir uniquement parce que son contrat est important ou parce qu’il est le meilleur joueur de l’équipe. Ça doit aller bien au-delà de ça.
C’est pourquoi, à l’heure actuelle, j’éprouve une certaine retenue. Oui, Max Pacioretty pourrait faire un bon capitaine. Oui, éventuellement, avec ce qu’il a à offrir, P.K. Subban serait extraordinaire. Mais sont-ils prêts maintenant ?
Parfois, j’ai l’impression que même dans cinq ans, on dira qu’un jour, Subban sera un bon capitaine. Mais qu’il est encore trop tôt.
Pourtant, en séries l’an dernier, il a été le général de l’équipe. Quel meilleur exemple de leadership peut-on voir que son rendement contre les Bruins de Boston ? Les espoirs de Coupe Stanley continueront de reposer en grande partie sur ses épaules. Il est aussi un excellent porte-parole, capable de donner le pouls de l’équipe aux médias.
P.K. est un grand compétiteur, jamais je ne lui enlèverai ça. Mais je pense sincèrement qu’il faut faire une distinction importante entre le sens de la compétition et le leadership. Pense à Brad Marchand, des Bruins. À ses meilleures années, il était un des plus grands compétiteurs de cette équipe. Mais aurait-il fallu pour autant en faire le capitaine ?
Certains joueurs ne possèdent pas nécessairement cette fibre. Je ne dis pas que c’est le cas de Subban. Mais je crois qu’il faut prendre le temps de trouver le bon capitaine. Si personne ne porte le « C » au premier match de la saison, ce ne sera pas nécessairement une erreur.
Peut-être pas une erreur, mais ça enverrait un message de mollesse. Comme si les dirigeants refusaient de se mouiller. Ils devront ensuite expliquer à l’un et à l’autre des candidats pourquoi le choix est remis à plus tard.
Je crois aussi qu’il est temps pour le Canadien d’avoir de nouveau un grand joueur comme capitaine. Comme Émile Bouchard, Maurice Richard et Jean Béliveau l’ont été.
Même un gardien a été capitaine : Bill Durnan !
Tiens, j’avais oublié ça ! Tout ça, Dany, pour te dire que l’idée de confier ce poste à un joueur ne faisant pas la différence sur la patinoire, comme ce fut le cas avec Mike Keane ou Brian Gionta, ne m’emballe pas.
L’Avalanche du Colorado et les Blackhawks de Chicago ont confié le « C » à Gabriel Landeskog et Jonathan Toews. Pourquoi le Canadien ne ferait-il pas dès maintenant confiance à sa relève ?
Philippe, sois sûr que le Canadien choisirait cette approche s’il alignait Jonathan Toews ! Cela dit, c’est une décision très importante. Il ne faut pas sous-estimer son impact.
C’est pourquoi il faut bien étudier l’affaire. Rien ne presse. Le Canadien peut attendre le moment opportun. Dans la vie, on ne te reproche jamais de prendre ton temps. Mais on te reproche souvent de prendre des décisions trop rapidement ! Le choix du capitaine est une décision importante pour le Canadien. Elle doit être bien mûrie.
Peu importe la tournure des événements, parions que la controverse sera au rendez-vous. Ce ne sera rien de nouveau dans l’histoire de l’équipe. Lorsque Jean Béliveau a été élu par ses coéquipiers en 1961, Bernard Geoffrion a été profondément ébranlé. Et rappelle-toi la surprise provoquée par le choix du duo Guy Carbonneau-Chris Chelios en 1989 ou la tempête causée par la nomination de Mike Keane en 1995…
En tout cas, l’heureux élu devra porter le poids qui accompagne le prestige de cette nomination. Et c’est beaucoup plus lourd que la Coupe Stanley !